Journal de bord d'un Français parti combattre Daech
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Journal de bord d'un Français parti combattre Daech
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Martin approche de la soixantaine. Dans une autre vie, il a été sous-officier dans l'armée française, dans laquelle il a passé 18 ans. En mars dernier, après avoir assisté impuissant aux attentats de Charlie Hebdo et à la montée en puissance de l'État islamique, il prend la décision de partir combattre Daech par ses propres moyens. Ils sont alors plusieurs Français à avoir la même idée. Après un premier voyage en septembre, il décide, bouleversé par les attentats du 13 novembre, de retourner au Kurdistan irakien, à Sinjar, où les Peshmergas se battent contre Daech.
Il n'appartient à aucune association, aucune de «ces milices» qui, dit-il, veulent «gagner du pognon». Il est parti seul, fort de son expérience. Pendant un mois et demi, il a vécu aux côtés des Peshmergas. Il nous livre un document exceptionnel: son journal de bord, qu'il a écrit sur le front, pour tromper l'ennui d'une guerre de positions et coucher sur le papier ses émotions.
«Est-ce le besoin de s'engager pour des causes auxquelles j'adhère sur un simple coup de cœur (simple vraiment?). Le Rwanda, Gaza et maintenant le Kurdistan. La facilité toute relative de pouvoir ‘épouser' ces causes est aussi à prendre en compte. La crise des soixante ans? Réaliser que l'on est à mi-pente, voire plus (la pente descendante dans mon cas) et que c'est sans doute la dernière opportunité de réaliser quelque chose de constructif, d'épanouissant hormis peut-être m'occuper un jour de mon petit-fils ou de ma petite-fille?»
«Régulièrement, les Peshmergas nous montrent sur leur iPhone des vidéos de propagande de l'EI: l'égorgement et la décapitation d'un Peshmerga, resté digne durant le laïus de son bourreau (les reflets du soleil sur l'écran m'ont heureusement empêché d'assister à l'insoutenable); regroupement de civils avant le tir d'un missile anti-char au milieu du groupe. En prenant Sinjar, l'EI a d'emblée exécuté trois cents civils à l'instar des S.S lors de la Deuxième Guerre mondiale. La deuxième constatation de la soirée est que le véhicule qui sera synonyme de salut pour les blessés au combat porte le Croissant Rouge et non pas la Croix-Rouge. Cette remarque afin de signifier clairement à ceux qui pourraient le croire que je ne suis pas venu ici vêtu de l'habit des Croisés.»
«Je préfère laisser la vedette aux Peshmergas car ce sont eux les véritables héros. Les survivants des différents conflits, en dépit de leurs actes héroïques, s'accordent tous à dire que les véritables héros sont les camarades morts au combat. Personnellement je n'ai rien fait qui justifie un tel compliment.»
un autre combattant étranger] prend le premier tour de garde. Là encore, l'équipe nous chouchoute car, comme avec les précédents, nous «écopons» des tranches horaires les plus sympas: de dix-neuf heures à minuit. Nous faisons un roulement entre nous, il va de soi. Allongé sur mon matelas, je sens que quelqu'un jette sur moi une couverture ; il s'agit d'un jeune capitaine, musulman, pratiquant de surcroît. Quelle belle leçon de générosité, de partage encore: H…, le musulman pratiquant jetant sa couverture sur les épaules de Martin, le baptisé(...)
Au moment où j'écris, nos anges gardiens [NDLR: Les Rafales français qui bombardent les positions de Daech] sont en train de «taper dur» au loin sur Daech. Sans doute, passerons-nous tous les trois Noël sur la ligne de front comme les militaires français engagés au Mali, au Tchad et ailleurs ainsi que les marins-pêcheurs, les marins de la Marchande, les humanitaires, les femmes enlevées par Boko-Haram et Daech et tous les autres. Mais peu importe. Pas d'état d'âme, pas de nostalgie. J'ai consulté, avant de revenir ici, la galerie de portraits des victimes des attentats de Paris. Toutes ces personnes tuées au nom d'une idéologie détestant notre mode de vie «décadent». Nous ne sommes pas là, nous les «Occidentaux» partis combattre Daech tous pour les mêmes raisons, j'en conviens. Mais pour ma part, ces visages, jeunes pour la plupart, se fondent en un seul visage: celui de ma fille. Ma décision de contrer le «Mal», d'une manière ou d'une autre, est prise depuis longtemps. Me manquait d'une part l'argent, d'autre part le bon canal pour parvenir sur place. La Syrie a été quelque temps envisagée. Mais la complexité pour y arriver dans un premier temps, puis l'imbroglio politique qui règne autour des parties en présence dans un second temps, m'ont orienté sur l'Irak.»
«Nous-mêmes occupons l'ex-demeure d'un général. Il me dit avoir rejoint les Peshmergas depuis l'Angleterre où il vivait avec sa famille. Beaucoup viennent d'un peu partout, principalement d'Europe, pour se joindre au combat contre Daech. Ainsi se côtoient avocat de haut vol, trader et même un ancien trafiquant repenti et farouche guerrier, ayant combattu dans les rangs du PKK. Le fait d'avoir des interlocuteurs anglophones permet le contact avec les autres soldats. Sinon, avec force gestes et quelques mots appris au fil des jours, on arrive toujours à se faire comprendre (....)
Nous sommes interloqués car les traçantes montent vers le ciel. Le bruit caractéristique nous permet de repérer un drone. Certes, les Peshmergas nous ont montré la photo d'un drone capturé chez l'ennemi et mesurant en tout et pour tout entre un mètre cinquante et deux mètres d'envergure. Mais c'est sans commune mesure avec celui qui nous survole. Celui que j'observe dans mes jumelles est sans conteste un drone d'observation de la Coalition, américain sans doute (Ameriki comme me dit un officier). Son pilote est-il installé dans un container aux États-Unis, en Turquie, à Berlin, en Jordanie? Quoi qu'il en soit, grâce à son optique embarqué, de nombreux yeux scrutent le relief en avant de nos positions. Nous avons eu l'occasion, tous trois d'entr'apercevoir la tablette du capitaine en charge des frappes aériennes. Depuis son séjour parmi nous, les frappes ont été plus nombreuses et particulièrement la nuit dernière. Un trait de lumière dans la nuit, à l'instar d'une étoile filante, c'est un missile qui file vers sa cible accompagné d'un bruissement caractéristique. Les djihadistes désireux de mourir en martyrs afin de bénéficier des soixante-dix ou soixante-douze vierges ont-ils été exaucés?»
• Lundi 14 décembre: «Beaucoup de similitudes entre les Poilus de 14-18 et ces Peshmergas»
Temps pluvieux, vent d'Est. Un temps à mettre à mal mon moral ou tout au moins m'amène à envisager un retour en France. La monotonie de ces derniers jours nous pèse aussi. La matinée passe ainsi, sans relief, insipide. Et puis en début d'après-midi, une première alerte, ponctuée par les premiers tirs de mortiers, nous fait tous cavaler vers les postes de combat. L'occasion de rencontrer d'autres Peshmergas. Fin d'alerte, retour à la maison, et rebelote. De nouveau aux postes. Zangel me dit avoir aperçu ses premiers djihadistes dans sa lunette. Le village duquel ils nous tirent dessus se trouve à environ mille, mille deux cents mètres. Lors de la troisième alerte, je me joins à un trio de capitaines qui dorment avec nous, dont le capitaine B…, le boute en train. Nous rejoignons dans un abri aménagé une douzaine de Peshmergas. Dans la pénombre qui règne à l'intérieur, les visages sont gommés, estompés. Seul un chauffage au gas-oil, une meurtrière et les bouts incandescents des cigarettes nous évitent d'être plongés dans une totale obscurité. Les soldats et les officiers plaisantent. Même si je ne comprends pas un traître mot de ce qui se dit, leurs rires et leurs sourires que je devine plus que je ne les vois apportent une certaine chaleur à cet ersatz de bunker. Certains portent le casque en kevlar, d'autres sont nu-tête, certains ont un bonnet style cagoule de motards. Et je me dis que si un peintre avait eu l'occasion de croquer cette scène, il aurait pu appeler cette peinture «Le soldat intemporel». A cet instant et seulement à cet instant bien sûr, un Voyageur du Temps trouverait beaucoup de similitudes entre les Poilus de 14-18 (La Der des Ders soi-disant) et ces Peshmergas.
• Mercredi 16 décembre: attentat kamikaze
«La journée débute tranquillement. Puis après le petit déjeuner, les capitaines nous informent qu'un élément du bataillon qui a relevé le nôtre sur l'ancienne position le 24 novembre a été victime d'un attentat kamikaze. Un individu profitant du relief escarpé et d'un brouillard dense a réussi à pénétrer dans une maison abritant une section et s'est fait exploser à l'intérieur. Bilan: huit morts et dix blessés dont deux généraux. La perte de ces camarades n'affecte en rien le moral du bataillon. Ces Peshmergas sont devenus des «Shahid» mais en défendant leur patrie, leur vie et leurs familles. Pour eux aussi la journée s'annonçait sans histoire. Et le Ciel qui leur tombe, non qui leur explose au visage.»
• Jeudi 17 décembre: une guerre de positions
«On est loin d'une guerre en phase dynamique. Chaque maison occupée par un détachement peshmerga devient un véritable fortin, les engins déversant des tonnes de terre sur le pourtour de chacune d'entre elles. Ce boudin de terre, haut de deux mètres et plus, large de deux à trois mètres, constitue un rempart efficace contre les tirs de mortiers aux alentours ou contre des tirs de R.P.G, ces petites roquettes lancées à partir d'un tube portatif. Cette noria d'engins me laisse même à penser que l'on envisage l'éventualité d'une tentative de reprise de Sinjar par Daech.»
• Mardi 22 décembre: amputé pour avoir fumé à Mossoul
«En discutant avec un petit groupe de partants, l'un d'entre eux me montre une de ses mains dont le majeur est amputé de deux phalanges. Vivant à Mossoul, conquise par l'EI, il a été surpris en train de fumer dans la rue par une patrouille avec son ami. Condamné à être amputé séance tenante de deux doigts, il a réussi à obtenir la clémence de ses bourreaux et a sauvé ainsi un de ses doigts. Son ami qui s'est rebellé, a eu moins de chance et a été exécuté sur le champ d'une balle dans la tête.»
«Quand un Peshmerga me dit de ne pas rester au milieu de la meurtrière du poste de combat sauf pour tirer, eh bien je me mets derrière la pile de sacs de sable. Celui qui persiste à ne pas tenir compte de ces conseils avisés et de ces comportements responsables est à mon humble avis un inconscient, voire un irresponsable. Devenir Shahid, c'est à dire tué au combat du fait des aléas de la guerre, d'accord. Mourir connement par le non-respect des règles les plus élémentaires de sécurité, non. À moins d'être en proie à des pulsions suicidaires, nous rapprochant ainsi sur ce point de ceux d'en face.»
• 2 janvier 2016: le retour
«Après une quarantaine de jours passés auprès des Peshmergas, c'est le désœuvrement qui a raison de ma détermination. À aucun moment, je n'ai craint pour ma vie. Il suffit de respecter certaines règles tout comme dans l'exercice de certains travaux ou dès lors que l'on sort de chez soi. J'avoue qu'il est tentant pour certains via les réseaux sociaux de se créer un personnage de Contes et Légendes, en quête de reconnaissance ou dans le simple but de se sortir de l'uniformité de la vie. On peut se retrouver ici pour de multiples mauvaises raisons. Se faire photographier sur le toit d'une maison à Dohuk avec une kalachnikov entre les mains et de «partager», je dirai plutôt imposer, cette photo sur sa page Facebook, ce fait nous a été rapporté à mes camarades et moi-même par un soldat de Dwekh Nawsha. Poser son Iphone ou son Ipad (je ne connais toujours pas la différence) sur le sac de sable devant soi et se filmer en train de vider un chargeur, faisant croire ainsi que l'on se retrouve face à une horde d'assaillants, je l'ai vu faire c'est vrai.Mais le personnage en question n'est pas resté une semaine parmi nous, raillé de tous côtés. Le côté frime ne peut exister très longtemps au sein de troupes aguerries.. (...)
«C'est un immense honneur pour moi d'avoir partagé leur quotidien durant ces quelques quarante jours. Et ce sentiment sera toujours aussi fort à mon retour. J'espère avoir la force de ne pas renier mon engagement une fois revenu dans le cocon d'une vie tranquille, loin des crépitements des Doushkas, le fracas des bombes, des missiles et des mortiers, la boue, le froid. À l'heure où j'écris ces lignes les Anges Gardiens survolent Dohuk, lors de leurs rondes bienveillantes au-dessus du Kurdistan.»
Martin est revenu en France le 4 janvier. Il espère repartir dès qu'on aura besoin de lui, sur le front. «C'est sûr, je reviendrai, j'ai trop d'attaches là-bas», confie-t-il.
Martin approche de la soixantaine. Dans une autre vie, il a été sous-officier dans l'armée française, dans laquelle il a passé 18 ans. En mars dernier, après avoir assisté impuissant aux attentats de Charlie Hebdo et à la montée en puissance de l'État islamique, il prend la décision de partir combattre Daech par ses propres moyens. Ils sont alors plusieurs Français à avoir la même idée. Après un premier voyage en septembre, il décide, bouleversé par les attentats du 13 novembre, de retourner au Kurdistan irakien, à Sinjar, où les Peshmergas se battent contre Daech.
Il n'appartient à aucune association, aucune de «ces milices» qui, dit-il, veulent «gagner du pognon». Il est parti seul, fort de son expérience. Pendant un mois et demi, il a vécu aux côtés des Peshmergas. Il nous livre un document exceptionnel: son journal de bord, qu'il a écrit sur le front, pour tromper l'ennui d'une guerre de positions et coucher sur le papier ses émotions.
«Est-ce le besoin de s'engager pour des causes auxquelles j'adhère sur un simple coup de cœur (simple vraiment?). Le Rwanda, Gaza et maintenant le Kurdistan. La facilité toute relative de pouvoir ‘épouser' ces causes est aussi à prendre en compte. La crise des soixante ans? Réaliser que l'on est à mi-pente, voire plus (la pente descendante dans mon cas) et que c'est sans doute la dernière opportunité de réaliser quelque chose de constructif, d'épanouissant hormis peut-être m'occuper un jour de mon petit-fils ou de ma petite-fille?»
«Régulièrement, les Peshmergas nous montrent sur leur iPhone des vidéos de propagande de l'EI: l'égorgement et la décapitation d'un Peshmerga, resté digne durant le laïus de son bourreau (les reflets du soleil sur l'écran m'ont heureusement empêché d'assister à l'insoutenable); regroupement de civils avant le tir d'un missile anti-char au milieu du groupe. En prenant Sinjar, l'EI a d'emblée exécuté trois cents civils à l'instar des S.S lors de la Deuxième Guerre mondiale. La deuxième constatation de la soirée est que le véhicule qui sera synonyme de salut pour les blessés au combat porte le Croissant Rouge et non pas la Croix-Rouge. Cette remarque afin de signifier clairement à ceux qui pourraient le croire que je ne suis pas venu ici vêtu de l'habit des Croisés.»
«Je préfère laisser la vedette aux Peshmergas car ce sont eux les véritables héros. Les survivants des différents conflits, en dépit de leurs actes héroïques, s'accordent tous à dire que les véritables héros sont les camarades morts au combat. Personnellement je n'ai rien fait qui justifie un tel compliment.»
un autre combattant étranger] prend le premier tour de garde. Là encore, l'équipe nous chouchoute car, comme avec les précédents, nous «écopons» des tranches horaires les plus sympas: de dix-neuf heures à minuit. Nous faisons un roulement entre nous, il va de soi. Allongé sur mon matelas, je sens que quelqu'un jette sur moi une couverture ; il s'agit d'un jeune capitaine, musulman, pratiquant de surcroît. Quelle belle leçon de générosité, de partage encore: H…, le musulman pratiquant jetant sa couverture sur les épaules de Martin, le baptisé(...)
Au moment où j'écris, nos anges gardiens [NDLR: Les Rafales français qui bombardent les positions de Daech] sont en train de «taper dur» au loin sur Daech. Sans doute, passerons-nous tous les trois Noël sur la ligne de front comme les militaires français engagés au Mali, au Tchad et ailleurs ainsi que les marins-pêcheurs, les marins de la Marchande, les humanitaires, les femmes enlevées par Boko-Haram et Daech et tous les autres. Mais peu importe. Pas d'état d'âme, pas de nostalgie. J'ai consulté, avant de revenir ici, la galerie de portraits des victimes des attentats de Paris. Toutes ces personnes tuées au nom d'une idéologie détestant notre mode de vie «décadent». Nous ne sommes pas là, nous les «Occidentaux» partis combattre Daech tous pour les mêmes raisons, j'en conviens. Mais pour ma part, ces visages, jeunes pour la plupart, se fondent en un seul visage: celui de ma fille. Ma décision de contrer le «Mal», d'une manière ou d'une autre, est prise depuis longtemps. Me manquait d'une part l'argent, d'autre part le bon canal pour parvenir sur place. La Syrie a été quelque temps envisagée. Mais la complexité pour y arriver dans un premier temps, puis l'imbroglio politique qui règne autour des parties en présence dans un second temps, m'ont orienté sur l'Irak.»
«Nous-mêmes occupons l'ex-demeure d'un général. Il me dit avoir rejoint les Peshmergas depuis l'Angleterre où il vivait avec sa famille. Beaucoup viennent d'un peu partout, principalement d'Europe, pour se joindre au combat contre Daech. Ainsi se côtoient avocat de haut vol, trader et même un ancien trafiquant repenti et farouche guerrier, ayant combattu dans les rangs du PKK. Le fait d'avoir des interlocuteurs anglophones permet le contact avec les autres soldats. Sinon, avec force gestes et quelques mots appris au fil des jours, on arrive toujours à se faire comprendre (....)
Nous sommes interloqués car les traçantes montent vers le ciel. Le bruit caractéristique nous permet de repérer un drone. Certes, les Peshmergas nous ont montré la photo d'un drone capturé chez l'ennemi et mesurant en tout et pour tout entre un mètre cinquante et deux mètres d'envergure. Mais c'est sans commune mesure avec celui qui nous survole. Celui que j'observe dans mes jumelles est sans conteste un drone d'observation de la Coalition, américain sans doute (Ameriki comme me dit un officier). Son pilote est-il installé dans un container aux États-Unis, en Turquie, à Berlin, en Jordanie? Quoi qu'il en soit, grâce à son optique embarqué, de nombreux yeux scrutent le relief en avant de nos positions. Nous avons eu l'occasion, tous trois d'entr'apercevoir la tablette du capitaine en charge des frappes aériennes. Depuis son séjour parmi nous, les frappes ont été plus nombreuses et particulièrement la nuit dernière. Un trait de lumière dans la nuit, à l'instar d'une étoile filante, c'est un missile qui file vers sa cible accompagné d'un bruissement caractéristique. Les djihadistes désireux de mourir en martyrs afin de bénéficier des soixante-dix ou soixante-douze vierges ont-ils été exaucés?»
• Lundi 14 décembre: «Beaucoup de similitudes entre les Poilus de 14-18 et ces Peshmergas»
Temps pluvieux, vent d'Est. Un temps à mettre à mal mon moral ou tout au moins m'amène à envisager un retour en France. La monotonie de ces derniers jours nous pèse aussi. La matinée passe ainsi, sans relief, insipide. Et puis en début d'après-midi, une première alerte, ponctuée par les premiers tirs de mortiers, nous fait tous cavaler vers les postes de combat. L'occasion de rencontrer d'autres Peshmergas. Fin d'alerte, retour à la maison, et rebelote. De nouveau aux postes. Zangel me dit avoir aperçu ses premiers djihadistes dans sa lunette. Le village duquel ils nous tirent dessus se trouve à environ mille, mille deux cents mètres. Lors de la troisième alerte, je me joins à un trio de capitaines qui dorment avec nous, dont le capitaine B…, le boute en train. Nous rejoignons dans un abri aménagé une douzaine de Peshmergas. Dans la pénombre qui règne à l'intérieur, les visages sont gommés, estompés. Seul un chauffage au gas-oil, une meurtrière et les bouts incandescents des cigarettes nous évitent d'être plongés dans une totale obscurité. Les soldats et les officiers plaisantent. Même si je ne comprends pas un traître mot de ce qui se dit, leurs rires et leurs sourires que je devine plus que je ne les vois apportent une certaine chaleur à cet ersatz de bunker. Certains portent le casque en kevlar, d'autres sont nu-tête, certains ont un bonnet style cagoule de motards. Et je me dis que si un peintre avait eu l'occasion de croquer cette scène, il aurait pu appeler cette peinture «Le soldat intemporel». A cet instant et seulement à cet instant bien sûr, un Voyageur du Temps trouverait beaucoup de similitudes entre les Poilus de 14-18 (La Der des Ders soi-disant) et ces Peshmergas.
• Mercredi 16 décembre: attentat kamikaze
«La journée débute tranquillement. Puis après le petit déjeuner, les capitaines nous informent qu'un élément du bataillon qui a relevé le nôtre sur l'ancienne position le 24 novembre a été victime d'un attentat kamikaze. Un individu profitant du relief escarpé et d'un brouillard dense a réussi à pénétrer dans une maison abritant une section et s'est fait exploser à l'intérieur. Bilan: huit morts et dix blessés dont deux généraux. La perte de ces camarades n'affecte en rien le moral du bataillon. Ces Peshmergas sont devenus des «Shahid» mais en défendant leur patrie, leur vie et leurs familles. Pour eux aussi la journée s'annonçait sans histoire. Et le Ciel qui leur tombe, non qui leur explose au visage.»
• Jeudi 17 décembre: une guerre de positions
«On est loin d'une guerre en phase dynamique. Chaque maison occupée par un détachement peshmerga devient un véritable fortin, les engins déversant des tonnes de terre sur le pourtour de chacune d'entre elles. Ce boudin de terre, haut de deux mètres et plus, large de deux à trois mètres, constitue un rempart efficace contre les tirs de mortiers aux alentours ou contre des tirs de R.P.G, ces petites roquettes lancées à partir d'un tube portatif. Cette noria d'engins me laisse même à penser que l'on envisage l'éventualité d'une tentative de reprise de Sinjar par Daech.»
• Mardi 22 décembre: amputé pour avoir fumé à Mossoul
«En discutant avec un petit groupe de partants, l'un d'entre eux me montre une de ses mains dont le majeur est amputé de deux phalanges. Vivant à Mossoul, conquise par l'EI, il a été surpris en train de fumer dans la rue par une patrouille avec son ami. Condamné à être amputé séance tenante de deux doigts, il a réussi à obtenir la clémence de ses bourreaux et a sauvé ainsi un de ses doigts. Son ami qui s'est rebellé, a eu moins de chance et a été exécuté sur le champ d'une balle dans la tête.»
«Quand un Peshmerga me dit de ne pas rester au milieu de la meurtrière du poste de combat sauf pour tirer, eh bien je me mets derrière la pile de sacs de sable. Celui qui persiste à ne pas tenir compte de ces conseils avisés et de ces comportements responsables est à mon humble avis un inconscient, voire un irresponsable. Devenir Shahid, c'est à dire tué au combat du fait des aléas de la guerre, d'accord. Mourir connement par le non-respect des règles les plus élémentaires de sécurité, non. À moins d'être en proie à des pulsions suicidaires, nous rapprochant ainsi sur ce point de ceux d'en face.»
• 2 janvier 2016: le retour
«Après une quarantaine de jours passés auprès des Peshmergas, c'est le désœuvrement qui a raison de ma détermination. À aucun moment, je n'ai craint pour ma vie. Il suffit de respecter certaines règles tout comme dans l'exercice de certains travaux ou dès lors que l'on sort de chez soi. J'avoue qu'il est tentant pour certains via les réseaux sociaux de se créer un personnage de Contes et Légendes, en quête de reconnaissance ou dans le simple but de se sortir de l'uniformité de la vie. On peut se retrouver ici pour de multiples mauvaises raisons. Se faire photographier sur le toit d'une maison à Dohuk avec une kalachnikov entre les mains et de «partager», je dirai plutôt imposer, cette photo sur sa page Facebook, ce fait nous a été rapporté à mes camarades et moi-même par un soldat de Dwekh Nawsha. Poser son Iphone ou son Ipad (je ne connais toujours pas la différence) sur le sac de sable devant soi et se filmer en train de vider un chargeur, faisant croire ainsi que l'on se retrouve face à une horde d'assaillants, je l'ai vu faire c'est vrai.Mais le personnage en question n'est pas resté une semaine parmi nous, raillé de tous côtés. Le côté frime ne peut exister très longtemps au sein de troupes aguerries.. (...)
«C'est un immense honneur pour moi d'avoir partagé leur quotidien durant ces quelques quarante jours. Et ce sentiment sera toujours aussi fort à mon retour. J'espère avoir la force de ne pas renier mon engagement une fois revenu dans le cocon d'une vie tranquille, loin des crépitements des Doushkas, le fracas des bombes, des missiles et des mortiers, la boue, le froid. À l'heure où j'écris ces lignes les Anges Gardiens survolent Dohuk, lors de leurs rondes bienveillantes au-dessus du Kurdistan.»
Martin est revenu en France le 4 janvier. Il espère repartir dès qu'on aura besoin de lui, sur le front. «C'est sûr, je reviendrai, j'ai trop d'attaches là-bas», confie-t-il.
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